Les locotracteurs sont de petits engins "bons à tout faire". Ils circulent généralement sur des voies ferrées étroites. Ils peuvent tirer de lourdes charges, circuler dans des passages très étroits, servir aussi bien aux civils pour transporter des légumes ou des déblais de chantier, qu'aux militaires pour transporter des armes et des munitions. Sur le chantier de Tréguennec, ces locotracteurs sont au nombre de quatre et sont chargés du transport des galets entre la dune et les concasseurs. Sur l'ero vili, les rails forment une voie de 0,60 m qui chemine sur une dizaine de kilomètres environ entre le site de La Torche à l'est, et le petit port de Penhors à l'ouest. Entre ces deux points, une déviation permet de remonter vers le quai de déchargement du chantier.
Ces rails proviennent du chemin de fer d’intérêt local désaffecté depuis 1934, le «train carottes» reliant auparavant Pont-l’Abbé à Pont-Croix. La Todt vient de racheter au département du Finistère 29 km de rails et les traverses en bon état qui s’y trouvaient pour la somme de 2 135 000 Fr. Par la même occasion, l’OT a fait main basse sur quatre « déviations » non comprise dans le contrat de vente mais qui pourraient servir en cas de besoin.
L'administration française aura beau dénoncer cet abus auprès des autorités allemandes rien ni fera, ce qui démontre une fois de plus l'immense autonomie et le pouvoir dont disposait l'OT. Sur ces rails manquant de stabilité - ils sont fixés sur des traverses reposant directement sur les galets - se déplacent les convois composés d’une quinzaine de wagonnets de 0,75 m³ de capacité. Ces convois sont tirés par trois des quatre machines réquisitionnées par l’occupant. Parmi ces machines, deux puissants locotracteurs de marque «Billard» et de type T75D (les n°82 et n°103). Initialement fabriquées pour être mises en service sur la ligne Maginot, ces engins ont été livrés neufs directement au génie allemand. Le troisième locotracteur est un «Henschel» de type DG26 et d'une masse de 5,4 tonnes, le n°1911 livré neuf en 1942 à Dolberg. Il est un peu moins puissant mais tout aussi indispensable au chantier.
La quatrième machine est une rare locomotive Decauville de type «020T» de 6,5 tonnes à vide - la n°2006 de 1920 - réquisitionnée auprès de la Société de Travaux Hydrauliques (la THEG). D’un point de vue puissance, la Decauville est largement en dessous des locotracteurs Billard : 67 tonnes environ en rampe de 10 mm/m contre 90 pour un locotracteur Billard, mais ses performances lui permettent tout de même d'assurer environ 39 tonnes à la vitesse de 14 km/h. Le type T75 quant à lui, a été conçu à la demande du Génie militaire en 1939 pour assurer la desserte des ouvrages de la ligne Maginot. Il découle d’un type civil employé dans l’industrie sucrière, auquel un blindage à été rajouté. Si les cinquante-deux premières unités produites ont effectivement été livrées au Génie, la suite de la production a été directement versée soit au génie allemand, soit à l’organisation Todt ou à des entreprises françaises collaboratrices. Les Billard T75D sont des locotracteurs diesel assez lourds, huit tonnes en ordre de marche, mais ils sont capables de tracter une charge de 32 tonnes sur une rampe de 10 mm/m à la vitesse de 20 km/h, ce qui est presque trop rapide pour la stabilité des rails. Leur vitesse maximale est de 32 km/h en 5ième vitesse.
Pour des raisons techniques, ce sont probablement les deux exemplaires Billard et le locotracteur Henschell DG26 qui circulent sur la dune de galets, tractant une quinzaine de wagonnets chacun. En effet, la Decauville est une vrai mini locomotive à vapeur tandis que les troix autres machines sont équipées de moteurs diesel. De fait, il s'agit d'engins rapides à démarrer et à mettre en action, ce qui n'est pas le cas de la Decauville qui fonctionne au charbon et demande plus de préparation. Il est fort problable que celle-ci se cantonne exclusivement aux manoeuvres dans le périmètre du chantier, à la mise en tas des gros galets ou à l'approvisionnemennt du concasseur par exemple.
Le coeur des chantiers d’extraction est situé en bord de mer. Chaque chantier comprend deux engins de travaux publics essentiels au prélèvement : Un bulldozer de marque américaine "Caterpillar", type D7, ainsi qu'une pelle de marque allemande "Weserhütte" de type LR4, équipée d'un godet de 500 litres (500 litres sur les inventaires, en réalité 400 litres). A la libération, un Caterpillar disparaitra mystérieusement sans laisser de trace et une des deux pelles sera envoyée sur les chantiers de reconstruction de Brest.
Ouvrons ici une parenthèse au sujet de ce modèle de pelle Weserhütte construite pendant le boom économique des années 30 par Eisenwerk Weserhütte AG. A l'époque, la LR 4 était considérée comme une pelle universelle et compacte, avec une capacité de godet de 0,4 m3. La superstructure avec cabine, moteur et treuils mesurait 3,50 x 2,60 x 3,26 mètres pour un poids utile de 20,5 tonnes. Dans la version utilisée à Tréguennec, la flèche réglable de 5,50 mètres de longueur permet des hauteurs de travail jusqu'à 6,50 mètres et une portée jusqu'à 7,90 mètres. A noter qu'il existe encore aujourd'hui en Allemagne, un exemplaire en état de marche de cette Weserhütte LR4. Achetée dans les années 30 par une entreprise de TP de Prusse-Orientale, elle avait été réquisitionnée pendant la Seconde Guerre mondiale et envoyée sur le front de l'est à Stalingrad. Elle est ensuite rentré en Allemagne très endommagée. Une fois réparée à Bad Oeynhausen par son ancien propriétaire, elle participe dès la fin de la guerre, au déblaiement de la ville de Kiel, puis aux nombreux projets de constructions de routes et de travaux publics jusqu'aux années 60. Elle aurait terminée sa vie au fond du dépôt de l'entreprise si Martin Kruse, ingénieur en mécanique, ne l'avait rachetée en 1991 pour le prix de la ferraille. Après 20 ans de restauration, la LR4 est maintenant opérationnelle. vous pouvez la voir sur le site de Martin (en Allemand), à cette adresse. Il aura mis vingt ans a réaliser cette rénovation complète.
En bas du cordon, du côté de l’estran dès que la marée est suffisamment basse, le bulldozer remonte graviers et galets vers la pelle à chenilles qui charge ces matériaux dans le convoi de wagonnets. La manœuvre de chargement est très rapide. Quelques secondes suffisent pour charger chacun des quinze wagonnets de 0,75 m3.
Le convoi s’ébranle ensuite à petite vitesse en suivant tout d’abord le bord de mer. Un aiguillage lui permet ensuite d’emprunter la longue rampe en pente douce (5 mm/m). Au sommet de cette rampe, à huit mètres de hauteur, débute l’étroit quai de déchargement. Le convoi s’immobilise en bout de quai, sa destination finale.
Ce quai de déchargement est une imposante muraille de béton armé haute de 8,25 mètres et longue de 200 mètres. Elle aurait été bâtie, d’après un témoignage, par des travailleurs de plusieurs nationalités européennes dont des mineurs russes. Immobilisés à l’extrémité du quai, les quinze wagonnets remplis de 30 tonnes de galets de tout calibres sont maintenant sous les ordres du responsable de la manœuvre qui va suivre, destinée à synchroniser trois opérations simultanément : le déchargement des wagonnets, le trie des galets et le remplissage des wagons SNCF.
Un feu tricolore visible par tout les opérateurs est implanté en bout du quai. Il commande les manœuvres.
Le feu est vert, les trieurs sont mis en route. Basculés manuellement dans cinq silos fixés contre la paroi verticale en béton, les graviers et les galets tombent et s’étalent sur les trieurs, sortes de grillage en acier servant de tamis. Ces trieurs sont reliés à un moteur électrique qui leur imprime un léger mouvement de vibration. Les granulats de petites tailles, jusqu’à 30 mm, passent à travers ces grilles calibrées. Ils sont utilisables d’emblée pour la fabrication du béton et tombent directement dans les wagons d’une rame SNCF stationnée au pied du mur, sur la voie ferrée à écartement normale. Dans le même temps, les gros éléments qui eux, ne peuvent traverser la grille du trieur sont inutilisables en l’état car ils doivent être concassés pour pouvoir servir de granulat dans la fabrication du béton armé. Ils sont donc récupérés grâce à un système de goulottes, ré-embarqués dans des wagonnets et stockés non loin du chantier.
Le feu est maintenant rouge. Le trieur est arrêté, plus aucun convoi ne bouge. Ceci permet d'opérer manuellement sur les trieurs si besoin car les grilles peuvent retenir de nombreux éléments et bloquer le tamisage.
Le feu passe maintenant au blanc, signifiant qu’une manœuvre est en cours sur les rails, en haut ou en bas du quai. Le trieur est arrêté. Les quelques wagons SNCF au pied du mur sont peut-être pleins. Si c'est le cas, ils sont alors poussés par la machine de manœuvre, une locomotive destinée à assembler les wagons du futur convoi hors du chantier au fur et à mesure de leur remplissage et à les remplacer au pied du quai par des wagons vides.
Le feu reste blanc avec la même signification, mais cette fois il concerne le convoi de wagonnets en haut du mur. Les premiers wagonnets ayant été vidés, le convoi se repositionne correctement au-dessus du trieur.
Le feu repasse au vert, les trieurs se remettent en route et le cycle recommence
La rame SNCF complète est formée plus loin à l’entrée du chantier. Une fois complétée, elle comptera entre 350 et 400 tonnes de matériaux en quittant le chantier de rejoindre Pont-l’Abbé. D’après un témoin, la durée de chargement d’une rame SNCF complète oscille entre trois et quatre heures. Ces chiffres sont corroborés dans les comptes rendus de chantier.
Quatre rotations des trois convois de wagonnets en circulation simultanément sur la dune sont donc nécessaires au remplissage d’un train SNCF car il faut prendre en compte la faible vitesse de ces petits convois, mais surtout l’éloignement des chantiers de ramassage. En effet, ceux-ci ne sont pas fixes et peuvent se situer aussi bien à un kilomètre du quai de déchargement, qu’à cinq kilomètres vers Penhors, par exemple. Le temps de trajet varie donc de trois à quinze minutes l'aller simple pour un locotracteur Billard par exemple. Pour tenir les temps exigés par l’organisation Todt, il faut donc mettre obligatoirement en service trois convois simultanément. Ceci oblige également à avoir en permanence des équipes d'ouvriers afin de consolider la voie ferrée après chaque passage de convoi, car ces rails et ces traverses sont simplement posés sur les galets.
Quant au stock de gros galets en attente de concassage, il finira par former un imposant cordon de plus de 700 mètres, partant du site et allant jusqu’au chemin départemental n°156.