Occupation allemande. Que faire du concasseur

Le site du concasseur à Tréguennec est unique en Europe mais reste méconnu. Héritage de l'occupation allemande, le site est un marqueur de la mémoire collective. Conscient de sa valeur historique et de son potentiel touristique et écologique, les élus veulent désormais le valoriser. Soixante-dix ans après sa fermeture.

Un article de Steven le Cornu paru dans le Télégramme du 26 septembre 2016

Une absence d'information

Quelle est l'histoire de ce vaisseau fantôme, figé, à quelques pas de l'océan ? Quelle a été la fonction de cette énorme machine aujourd'hui laissée à l'abandon ? Des questions qui se posent à la vue de ces impressionnants vestiges de béton. La stupéfaction domine. Sur place, au lieu-dit Prad-ar-C'hastell, aucun panneau ne renseigne sur le passé du site. À la Maison de la baie d'Audierne ou dans les différents offices de tourisme, les demandes de renseignements sont fréquentes. Sur le mur casemate, 150 m de long et de 10 m de haut, la vue est exceptionnelle. On devine la pointe du Raz et on aperçoit le phare d'Eckmühl. L'accès au promontoire est interdit mais les ganivelles n'arrêtent pas les curieux. En 2007-2008, des travaux avaient permis de sécuriser le site et d'empêcher la multiplication des raves party. Un arrêté de péril avait été pris par la municipalité en 2002. Depuis, les trémies continuent de se dégrader.

 

Pour construire le Mur de l'Atlantique

Cette usine de concassage de galets a été construite durant la Seconde Guerre mondiale par les Allemands. Elle a servi à la construction du Mur de l'Atlantique. La Todt, l'organisation de génie civile et militaire de l'Allemagne nazie, met en route le chantier en 1942. Les matériaux, triés, concassés, étaient acheminés par voie ferrée vers Pont-l'Abbé puis Quimper. Le cordon de galets se dressait face à la mer entre Penhors et Tronoën. L'énorme barrière, haute de huit mètres et large de 30 à 100 m, masquait l'horizon. « Un million de tonnes de galets vont être prélevées sur dix kilomètres de cordon dunaire (soit 600. 000 m³) », explique Yvan Marzin, historien amateur et passionné par le sujet. « Quatre à six trains partaient tous les jours. L'usine tournait jour et nuit », ajoute-t-il. Environ 350 personnes de plusieurs nationalités européennes et de nombreux locaux (voir ci-dessous) y travaillaient quotidiennement. Le site est abandonné en 1944 après la Libération. Le chantier ferme officiellement en 1948.

Un plan de valorisation

Le 1er janvier 2017, La communauté de communes du Pays bigouden sud, gestionnaire du site, va prendre la compétence tourisme. L'occasion d'amorcer « un nouvel élan », selon Katia Gravot, vice-présidente en charge du tourisme. Comme le calvaire de Tronoën, le site est classé « d'intérêt communautaire ». Sa prise en compte entre dans la nouvelle stratégie touristique à savoir, la valorisation du patrimoine. « Il ne faut pas renier cette période-là », explique l'élue. Dans un premier temps, un inventaire du bâti, en lien avec les Bâtiments de France, va être mené. Katia Gravot évoque la création « d'un cheminement clair » et « la pose d'une signalétique » sur place. Un premier pas. « Nous n'en sommes qu'au début mais nous sommes déterminés à avancer », assure-t-elle.

Le Conservatoire impliqué

Depuis quinze ans, plusieurs projets de valorisation ont été réalisés mais n'ont jamais abouti. Les relations entre les élus locaux et le Conservatoire du littoral, propriétaire du site, n'ont pas toujours été simples. La municipalité avait rejeté un projet, en 2005, visant notamment à détruire une trémie. Depuis, les équipes ont changé. La situation ne semble plus bloquée. « Bien évidemment, le Conservatoire du littoral s'associera aux réflexions et sera partie prenante dans la valorisation du site si un porteur de projet se déclarait. C'est une de nos missions de propriétaire au regard de l'ouverture au public », explique Jérôme Le Breton, chargé de mission Finistère sud au Conservatoire. Dans quelles proportions ? « Il est encore trop tôt pour le dire ».

Un écosystème exceptionnel

Le site est remarquable tant au niveau de la faune que de la flore. Les galeries du mur casemate abritent des chiroptères. Le grand rhinolophe, espèce protégée, y vient pour hiverner. « Nous avons compté jusqu'à vingt individus dans une même saison », indique Benjamin Buisson, responsable du service espaces naturels à la CCPBS. Ce dernier travaille en étroite collaboration avec le Groupe mammalogique breton (GMB), basé à Sizun. La zone accueille également un grand nombre d'oiseaux comme la chouette chevêche, le hibou des marais ou le faucon crécerelle. Au sol, il est possible d'observer des characées, une espèce d'algue unicellulaire très rare ou encore l'orchidée abeille, une plante protégée.

Pierre Pérennou : « C'était admis mais pas bien vu »

Pierre Pérennou, 91 ans, a travaillé sur le site du concasseur. C'était durant l'été 1943. Ses souvenirs sont immortalisés dans un agenda. Il écrivait des notes quotidiennement. « C'était surtout sentimental », confie le Tréguennecois. « Lundi 28 juin 1943 : pas pris à l'usine de conserverie Raphalen à Plonéour. Mercredi 29 juin : embauche avec la Todt à Tréguennec. Tourmenté. Nuit agitée », révèle le vieux carnet. Soixante-treize ans plus tard, le Bigouden ne se voile pas la face.

Comme un tabou

Je pesais le pour et le contre. Ce n'était pas simple. À l'époque, j'étais dans une famille de quatorze enfants et j'avais la chance d'être à l'école, à Pont-l'Abbé. Je devais travailler pour donner un peu d'argent à ma mère. Il fallait bien manger, il n'y avait pas d'allocations familiales en ce temps-là ». Entre 300 et 400 personnes, dont de nombreux locaux, ont travaillé sur le site. On y trouvait beaucoup de marins du Guilvinec qui avaient interdiction d'aller en mer. « Ils venaient à pied et logeaient sur la paille », se souvient Pierre Pérennou. Quel regard portait-on sur eux ? « On n'y allait pas en rasant les murs mais discrètement. C'était admis mais pas bien vu. En fait, personne n'en parlait », témoigne-t-il aujourd'hui. « J'ai été l'un des rares à en parler, il y avait comme un tabou », raconte-t-il. « Mercredi 30 juin : premier jour de travail à Penhors. Fatiguant mais boulot original », renseigne le journal. « Je faisais la maintenance de la voie ferrée qui acheminait les galets au concasseur. Elle était construite sur la dune. C'était très instable, après chaque passage, il fallait tout le temps réviser les rails. Le concasseur faisait un bruit infernal (entendu jusqu'à Plozévet) et un énorme nuage de poussière ».

 

Quelles étaient les conditions de travail ? « J'ai travaillé en juillet-août, presque à la carte. C'était un chantier spécial dans lequel on entrait comme on voulait. C'était loin d'être un camp de concentration. L'armée était invisible. Il y avait des contremaîtres Todt avec lesquels ça se passait bien. Je travaillais trois quatre jours par semaine. J'étais là le samedi car c'était jour de paye, en liquide », se remémore le Bigouden alors âgé de 18 ans, avant d'ajouter : « C'est une période dont je ne garde pas de mauvais souvenirs, mais je ne vais pas m'en vanter ». « Il fait partie de l'histoire » « J'ai arrêté le 3 septembre, ce jour-là, un rail m'est tombé dessus et je me suis fracturé le doigt. Les Allemands sont partis le 4 août. À ce moment-là, je retourne ma veste et je m'engage dans les Forces françaises de l'intérieur FFI ». Quel avenir pour le site ? Pierre Pérennou regrette l'absence de signalétique sur place. « Le site mérite d'être valorisé, il fait partie de l'histoire et du patrimoine. En bien ou en mal et il faut en parler ».

Source : Le Télégramme page internet ici

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show5Cette page regroupe les gros fichiers du site, entre quelques Mo et quelques centaines de Mo. Il s'agit de plans complets, de profils en long des voies ferrées etc. 

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